Qui profite de la liberté d’accès? Les problèmes de l’édition scientifique en libre accès

Science & Policy Exchange
4 min readOct 22, 2022

par Gavin M. Douglas, Dialogue Sciences et Politiques (DSP)

L’édition en libre accès a amélioré l’accès mondial aux connaissances scientifiques, ce qui, de l’avis général, profite à l’humanité. Cependant, le mouvement du libre accès a été accusé d’avoir certains impacts négatifs sur le paysage de l’édition scientifique. Une compréhension claire de ces critiques (exposées ci-dessous, et qui s’appuient sur un précédent billet de blog de SPE) est nécessaire pour que les scientifiques et les décisionnaires politiques puissent élaborer des solutions.

“C’est trop cher et cela gaspille les fonds de recherche”

Les frais de traitement à la charge des groupes de recherche, qui sont des frais que les scientifiques paient pour publier des articles en libre accès, constituent la base des modèles économiques des revues en libre accès. En revanche, les revues traditionnelles comptent sur les abonnements (par exemple, ceux des universités) comme principale source de revenus. Ces frais de traitement s’élèvent en moyenne à 1 626 dollars américains, mais varient fortement d’une revue à l’autre. Par exemple, en 2020, les frais de traitement d’un article en libre accès dans la prestigieuse revue Nature s’élevaient à 11 390 dollars américains. Même des frais de traitement raisonnables peuvent constituer une charge importante pour les groupes de recherche. Bien que ces frais soient souvent prévues dans les subventions de recherche, ces dépenses substantielles sont faites au détriment de la recherche elle-même (voir graphique ci-dessous).

Estimation des dépenses de publication à la charge des groupes de recherche (en millions de dollars américains) pour différents pays entre 2015 et 2020. Graphique issu du tableau 4 dans Zhang et al. 2022.

“Le libre accès encourage les pratiques d’édition prédatrices”

L’évolution des modèles économiques des revues, qui ne sont plus fondées sur l’abonnement mais sur les frais de traitement à la charge des groupes de recherche, a conduit à une prolifération de revues prédatrices, qui n’offrent pratiquement aucun service éditorial. Bien entendu, l’existence de ces revues ne doit pas faire oublier les précieuses contributions des maisons d’édition de science ouverte réputées, et il faut espérer que les maisons d’édition frauduleuses disparaîtront à mesure que les communautés de recherche seront mieux informées.

“Les normes éditoriales du libre accès sont trop faibles”

De manière plus controversée, certaines maisons d’édition légitimes à but lucratif en libre accès ont été accusées de mettre en œuvre des normes éditoriales trop faibles pour garantir l’acceptation d’un grand nombre d’articles. Les maisons d’édition en libre accès gèrent généralement des revues en ligne uniquement, ce qui entraîne de faibles frais de fonctionnement pour la publication des articles. Ainsi, plus il y a d’articles publiés dans une revue, plus la manne des frais de traitement est importante. Cela incite clairement les entreprises d’édition à maximiser le nombre d’articles acceptés. Ce cercle vicieux a été mis en évidence dans plusieurs situations très médiatisées. Par exemple, les éditeurs et éditrices de la revue Nutrients de MDPI ont démissionné en signe de protestation après avoir affirmé avoir subi de fortes pressions pour reconsidérer des manuscrits rejetés. Dans d’autres cas, certaines revues à but lucratif en libre accès ont été critiquées pour n’avoir offert aux pairs chargés de l’évaluation de manuscrits que la possibilité de se retirer du processus d’évaluation plutôt que de rejeter un manuscrit. Après un tel retrait du processus, de nouveaux évaluateurs pouvaient être recrutés jusqu’à ce que des évaluations suffisamment favorables soient produites. Les maisons d’édition accusées ont des réponses toutes faites à ce type d’allégations (comme dans le cas de Nutrients) : confirmer des résultats connus est essentiel au progrès scientifique, donc même si un manuscrit n’est pas strictement novateur, il mérite d’être publié. C’est bien sûr vrai, mais cela met en évidence la façon dont certaines maisons d’édition omettent les préoccupations relatives à la qualité des manuscrits pour se concentrer sur les questions de nouveauté, qui ne sont pas équivalentes. Quoi qu’il en soit, il y a conflit d’intérêts si les maisons d’édition qui portent ces jugements ont également des modèles commerciaux basés sur la maximisation du nombre de publications.

“Le libre accès exacerbe les inégalités en matière d’avancement de carrière”

Les articles publiés dans des revues en libre accès sont plus cités en moyenne, bien que l’ampleur de l’effet soit controversée. Les scientifiques qui publient dans ces revues bénéficient également de plusieurs autres avantages professionnels, tels que des opportunités d’emploi et de financement supplémentaires. C’est un problème, car ce ne sont pas tous les scientifiques, institutions et pays qui peuvent se permettre de payer des frais de publication élevés en libre accès. Cela signifie que les scientifiques moins bien financés pourraient ne pas profiter d’opportunités de financement et de carrière essentielles, tandis que les personnes bien financées pourraient en bénéficier de manière disproportionnée.

Catégories de revues divisées selon le niveau d’ouverture (accès fermé — libre accès complet) et le modèle économique (lucratif — sans but lucratif). La catégorie 4 est la plus souhaitable, la 1, la moins souhaitable, et les deux autres constituent des compromis. Traduit et adapté de Racimo et al. 2022 (CC BY 4.0 license).

Que faudrait-il faire?

Ces critiques sont toutes valables, mais il est important de comprendre qu’elles ne s’appliquent pas à tous les journaux en libre accès. Il existe de nombreux modèles différents de libre accès, notamment des revues gérées par des sociétés scientifiques et des organismes à but non-lucratif (voir la figure ci-dessus). Il existe également un nombre croissant de revues en libre accès de niveau “diamant”, dans lesquelles les scientifiques peuvent publier sans frais, et qui sont accessibles gratuitement au public. Si les groupes de recherche se mettaient à publier dans ces revues, ces problèmes pourraient être évités. Comment réaliser un changement systémique de ce type ? Ce ne sera pas facile, mais restez à l’écoute des prochains articles de SPE sur ce sujet.

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