Pesticides et précaution : coup d’œil sur l’augmentation des limites de résidus de glyphosate proposée par Santé Canada

Science & Policy Exchange
5 min readOct 28, 2021

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Par Nadine L. Wellington et Emma C. Anderson, Dialogue Sciences et Politiques

Lorsqu’ils achètent des aliments à l’épicerie, les consommateurs obtiennent souvent plus qu’ils ne l’avaient prévu : invisibles à l’œil nu, de nombreux produits alimentaires contiennent des résidus de pesticides.

Alors que ces produits sont des piliers de l’agrobusiness industriel, leur utilisation est en train d’être réévaluée dans le monde entier. Récemment, après avoir reçu des demandes de l’industrie des pesticides, Santé Canada a proposé d’augmenter les limites maximales de résidus (LMR) du glyphosate, un herbicide controversé (tableau 1). Cette molécule a été présentée par l’industrie comme étant sûre, biodégradable et non-lixiviable. Son utilisation présente cependant plusieurs risques, ce qui a conduit certaines juridictions à réduire ou à éliminer progressivement ses usages. La proposition de Santé Canada a suscité de multiples oppositions, notamment de la part de l’Union Nationale des Fermiers, de l’Association pour le commerce biologique du Canada et du Bloc québécois, ce qui a entraîné une suspension de la décision jusqu’en 2022. Dans cet article, nous nous plongeons dans les avantages, les risques et les controverses du glyphosate.

Tableau 1: Limites maximales de résidus de glyphosate en vigueur et proposées au Canada dans certains aliments (ppm).

Le glyphosate est l’ingrédient actif des herbicides à base de glyphosate (HBG), les herbicides les plus utilisés dans le monde. Les herbicides à base de glyphosate contiennent souvent du glyphosate mélangé à des sels et à des additifs, comme des surfactants, pour améliorer leur efficacité. Une fois appliqué, le glyphosate bloque une enzyme essentielle au métabolisme de la plante, tuant la plupart des plantes en quelques jours. Cette molécule a été enregistrée pour la première fois par Monsanto Canada (maintenant Bayer CropScience Canada) en 1976 sous le nom de Roundup Original Liquid Herbicide, et il en existe actuellement plus de 180 formulations enregistrées au Canada et plus de mille aux États-Unis.

Les HBG ont gagné en popularité en raison de leurs avantages. Les agriculteurs utilisent désormais moins d’herbicides nocifs, comme l’atrazine, qui est extrêmement toxique pour la faune. De même, les HBG diminuent la nécessité de désherber par un travail mécanique du sol, ce qui réduit l’érosion du sol, l’usure des machines et les émissions de gaz à effet de serre. Ils sont également utilisés pour faire mûrir artificiellement certaines cultures en vue de la récolte, au lieu de dépendre des conditions météorologiques, bien qu’il s’agisse d’une utilisation non indiquée sur l’étiquette et non approuvée par le gouvernement canadien.

Malgré leurs avantages, ces herbicides présentent certains risques. Les HBG peuvent dériver dans le vent, s’infiltrer dans l’eau, lessiver les minéraux du sol et créer des “super mauvaises herbes” résistantes aux HBG, endommageant ainsi les écosystèmes locaux. Sur le plan économique, l’augmentation des LMR peut réduire l’exportabilité des produits alimentaires canadiens vers des pays où la réglementation est plus stricte. Des taux inhabituels de maladies et de malformations congénitales ont également été liés au glyphosate. Cependant, Bayer soutient que les HBG sont inoffensifs lorsqu’ils sont utilisés conformément au mode d’emploi figurant sur l’étiquette.

En 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a déterminé que le glyphosate est “probablement cancérogène pour l’homme” après avoir examiné des rapports sur la croissance de tumeurs chez des animaux de laboratoire et des preuves “limitées… dans le monde réel” de cancer chez certains utilisateurs de HBG. Deux ans plus tard, les Monsanto Papers ont révélé les efforts de l’entreprise pour supprimer les études sur la toxicité du HBG, rédiger des articles scientifiques favorables au glyphosate et entraver les enquêtes de sécurité. Des dizaines de milliers de poursuites judiciaires alléguant des dommages causés par les HBG sont maintenant en cours. Après des pertes juridiques totalisant plus de 215 millions de dollars, Bayer a annoncé que les herbicides à usage résidentiel seront exempts de glyphosate à partir de 2023.

Malgré la controverse, les évaluations de sécurité de Santé Canada, de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) et de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), dans le cadre de leurs processus d’enregistrement et de renouvellement des pesticides, continuent de conclure que l’usage réglementé des HBG ne présente pas de risque pour la santé. Pour leurs plus récents renouvellements de glyphosate, Santé Canada et l’EFSA se sont appuyés sur des preuves similaires soumises à l’EPA. Certaines analyses montrent que les conclusions du CIRC et de l’EPA diffèrent pour 3 raisons principales. Premièrement, le CIRC s’est principalement concentré sur des études évaluées par des pairs, tandis que l’EPA s’est concentrée sur des rapports réglementaires non publiés, commandés par l’industrie. La plupart des études publiques indiquent une toxicité des HBG, contre seulement 1% des études de l’industrie, et le dernier rapport de l’EFSA indiquant que le glyphosate et les HBG sont “peu susceptibles” d’être dangereux comportait des sections copiées mot pour mot d’une étude de Monsanto. Deuxièmement, l’analyse de l’EPA concernait le glyphosate pur, et non ses formulations, qui peuvent être plus toxiques pour les humains et les animaux. Par exemple, le polyoxyéthylène amine (POEA), un surfactant commun dans les formulations de HBG, est 5 fois plus toxique que le glyphosate pur. Enfin, l’examen de l’EPA s’est largement appuyé sur des données obsolètes, alors que le CIRC a également pris en compte des études récentes sur les expositions chroniques. Cependant, le renouvellement de l’EPA est maintenant en cours de révision en raison d’erreurs dans l’évaluation des dommages causés par les HBG à la faune et aux plantes indigènes. La réglementation de l’UE sur le glyphosate est nettement plus stricte, avec des LMR plus basses et une période de renouvellement plus courte (5 ans contre 15 au Canada et aux États-Unis ; voir tableau 1). Plusieurs membres de l’Union européenne ont également adopté des contrôles supplémentaires du glyphosate, notamment la France, l’Autriche, le Danemark, la Belgique et l’Espagne.

Le Canada devrait-il suivre l’Europe et appliquer une approche de précaution ? Bien que l’OMS ait déclaré que les résidus alimentaires de glyphosate sont “peu susceptibles de présenter un risque cancérogène pour l’homme”, des questions demeurent quant à l’intégrité de cette évaluation. Comme il est peu probable que la grande majorité des aliments dépassent les LMRs actuelles, des modifications de l’utilisation des HBG, plutôt qu’une augmentation des LMR, permettraient de mieux protéger les consommateurs.

Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire ni justifié d’augmenter les LMR de glyphosate. Une évaluation impartiale du risque pour la population canadienne doit être menée et le gouvernement doit, au préalable, considérer comment l’augmentation des LMR pourrait amplifier l’utilisation du HBG et, par conséquent, l’exposition environnementale et professionnelle.

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