Investir dans un système de transport fiable et résilient

Science & Policy Exchange
6 min readNov 23, 2020

par Zissis Hadjis et Jessica Bou Nassar, Dialogue Sciences & Politiques

En réalisant en avril que les mesures de confinement resteraient en place pour le futur proche, nous avons envisagé de nous procurer un vélo pour rester en forme, pour essayer quelque chose de nouveau et pour éviter de prendre le transport collectif. Il semblerait que nous ne soyons pas les seuls à penser ainsi!

La pénurie mondiale de vélos semble lentement se résorber, mais les impacts de la COVID-19 sur le taux de voyageurs et les revenus du système de transport en commun restent indéterminés. Le présent article vise à décrire comment la pandémie a affecté le transport public au Canada, ce que les gouvernements ont fait pour aider les organisations de transport à ce jour ainsi que quelques avenues pour soutenir les initiatives qui développent des infrastructures durables permettant la mobilité autonome équitable au Canada.

Le déclin du transport en commun au Canada en chiffres

En avril 2020, selon Statistiques Canada, le nombre de voyages dans les autobus, les trains et les métros au Canada a diminué de 85%, comparativement à avant la pandémie. Les voyages ont quelque peu repris durant l’été, mais un sondage réalisé par Statistiques Canada à la mi-juin a montré que la proportion de personnes utilisant le transport collectif n’était que de 3%.

Avant la pandémie, les véhicules automobiles personnels (75 %) étaient le mode de transport le plus courant pour se rendre au travail, suivis du transport en commun (13 %) et du transport actif (marche ou vélo) (7 %). Moins de 1 travailleur sur 20 faisait du télétravail (4 %). (…) En juin, les véhicules automobiles personnels sont demeurés le mode de transport le plus utilisé par les travailleurs canadiens (67 %). La baisse de la proportion de travailleurs utilisant le transport en commun a été plus prononcée. Alors que 13 % des travailleurs utilisaient le transport en commun avant la pandémie, cette proportion était de 3 % en juin. En juin, l’utilisation du transport collectif (3 %) pour se rendre au travail était moins courante que la marche ou le vélo (6 %). La proportion de navetteurs utilisant un mode de transport actif (c’est-à-dire la marche ou le vélo) n’a pas beaucoup varié au cours de la période (Statistiques Canada).

Puisque 5 fois plus de personnes travaillaient de la maison en juin 2020 qu’avant la pandémie de la COVID-19, il est normal que les agences de transport aient vécu des pertes de revenus. Ceci signifie que les revenus opérationnels totaux des agences de transport urbain ont diminué de 77% (environ 75,6 millions $) en juin, comparativement au mois de juin 2019. Ceci représente toutefois une amélioration comparativement au mois de mai 2020.

Cependant, l’impact de la réduction des horaires et des services n’affecte pas toute la population de manière égale. Dans l’étude de Deng et al. (2020), les auteurs ont trouvé que, au Canada, il était moins/peu probable que les travailleurs vulnérables sur le plan économique, tels que les plus jeunes travailleurs et ceux avec moins d’éducation, aient l’option de faire du télétravail. Comme mentionné dans un article du Toronto Star, les données sur la première et la seconde vague de la pandémie montrent que les personnes issues de quartiers défavorisés et racisés (ce qui inclut nombre de travailleurs essentiels) avaient été affectées de manière disproportionnée par la COVID-19 en raison, notamment, du transport collectif limité et des conditions de vie durant la pandémie. Par conséquent, ceux qui ne peuvent pas faire du télétravail et qui ont besoin du transport public pour se rendre au travail méritent des options fiables et sécuritaires.

“The Canadian Urban Transit Association (CUTA) made note that even during the height of the lockdown, transit was moving a million people a day — many of them essential workers. The association explains ridership is increasing as the economy reopens and even though it will not reach pre-pandemic levels likely for years, transit services will need to remain relatively high to prevent crowding on board vehicles.” Source: Mass Transit

Il est important que les organisations de transport public et les voyageurs soient soutenus en ces temps de pandémie, même si ces changements sont temporaires. Toutefois, puisque nous ne connaissons pas tous les effets à long terme de la pandémie ni leur durée, nous nous devons de réfléchir aux changements et temporaires et permanents afin de maintenir et d’améliorer le système de transport collectif, notamment pour ceux qui en dépendent en raison de leur emploi.

Les actions gouvernementales

Conformément à l’Accord sur la relance sécuritaire, le gouvernement fédéral a accordé 19 milliards de dollars d’investissements pour permettre aux provinces et territoires de relancer leur économie — une partie desquels sera réservée au soutien de services tels que les transports en commun. Le gouvernement fédéral s’engage également à verser «plus de 2,3 milliards pour soutenir toute contribution supplémentaire des provinces et des territoires participant aux coûts d’exploitation du transport en commun» des municipalités.

Les gouvernements provinciaux comme ceux du Québec, de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, ont accordé des fonds supplémentaires afin de compenser les pertes, et ont mis en place des mesures permettant d’intégrer les préoccupations liées à la santé lors de l’utilisation des transports en commun, comme par exemple de rendre obligatoire le port du masque à bord des véhicules. Bien que ces décisions aient reçu un accueil positif, seul le temps pourra nous dire si, au Canada, la seconde vague affecte de nouveau fortement la fréquentation des transports en commun et, par conséquent, les finances municipales.

Les transports actifs

Certains des gouvernements municipaux du Canada ont envisagé des systèmes alternatifs de transport en commun permettant aux usagers de se sentir plus en sécurité et moins anxieux. Les transports actifs (modes de transport permettant de se déplacer tout en restant actifs, par exemple le vélo et la marche) ont été recommandés par de nombreux conseils municipaux qui ont temporairement transformé certaines sections de route en voies piétonnes et cyclables. Par exemple, en mai 2020, Valérie Plante, la maire de Montréal, a annoncé la mise en place d’un réseau de Voies actives sécuritaires dans le but de prolonger de 112 km les 900 km de voies de transport actif déjà existantes. Cependant, ce projet pourrait également présenter quelques inconvénients. Par exemple, la prolongation des réseaux de transport actif nécessite la transformation de nombreuses routes en voies à sens unique, ce qui pourrait entraîner une augmentation des embouteillages et donc des émissions de GES. Les villes de Vancouver, Victoria, Calgary, Winnipeg, Ottawa, Kitchener, Toronto et Moncton ont également introduit le prolongement des voies de transport actif comme alternative d’urgence aux transports en commun. Et c’est tant mieux, car cette initiative entreprise par les conseils municipaux permet de préserver la santé aux usagers actifs et de réduire la pollution sonore autour des villes. Cependant, plus largement, il est important de prendre en considération l’adaptation des voies de transport actif aux hivers canadiens. Ainsi, mettre en place un plan d’entretien hivernal des réseaux de transport actif ayant pour priorité la sécurité, le confort et la faisabilité est indispensable afin d’assurer la durabilité de cette alternative.

Quelques avenues

Malgré les incertitudes de ces prochains mois, certaines initiatives pourraient rendre les transports en commun plus attrayants, permettant ainsi d’augmenter leur fréquentation et d’aider à maintenir à flot les agences de transport.

Outre le financement, la priorité est de rendre les transports en commun sécuritaires pour les usagers. Selon une enquête de Statistics Canada en juin dernier, 94% des personnes interrogées affirment que la peur d’utiliser les transports en commun fait partie de leurs préoccupations concernant leur retour sur leur lieu de travail. Même parmi celles et ceux qui affirmaient se sentir en sécurité pour retourner sur leur lieu de travail, 74% ont admis qu’ils étaient très ou extrêmement inquiets d’emprunter les transports en commun. Bien qu’il y ait encore peu d’études démontrant que les transports en commun soient des lieux de contamination importante, les gouvernements et les municipalités doivent faire de leur mieux pour rassurer les usagers. Ainsi, imposer le port du couvre-visage, renforcer les mesures d’hygiène, et augmenter les fréquences (pour permettre de pratiquer la distanciation efficacement) demeure essentiel afin de convaincre les passagers de remonter à bord.

Les organisations de transport en commun pourraient aussi faire l’essai du transport à la demande. Celui-ci offre des possibilités d’adaptation et d’optimisation, et permet de déployer les véhicules en fonction de la demande des consommateurs plutôt qu’à heures fixes. Ce type d’innovation pourrait rendre les transports plus abordables et représenter un coût moins élevé pour les municipalités.

Les problématiques liées à l’élargissement des villes et au changement climatique devenant de plus en plus préoccupantes, il est important de continuer à investir dans des façons de se déplacer durables, créatives et respectueuses de l’environnement. Bien que le télétravail soit désormais bien implanté, les transports en commun vont jouer un rôle central pour relancer l’économie et permettre de soutenir nos municipalités.

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A student-run non-profit that works to foster the student voice in science policy and evidence-informed policy-making in Canada. Based in Montreal.